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31 mars 2015

31 mars 2015 Commentaires pour éclairer sur le secret médical

Je ne reviendrai pas sur l’élément marquant de ce dimanche : les élections départementales qui ont élu des binômes à qui on n’avait pas défini de rôle mais qui étaient volontaires pour tout, et surtout pour le poste bien indemnisé.

Tout le monde s’est dit gagnant sauf les perdants qui ont perdu leur poste. Je n’en dirai pas plus mais je vous invite à lire le texte de Philippe Bilger lumineux : http://www.philippebilger.com/; « la bouteille de trop ».

Autre polémique : le secret médical et ses conséquences. Cela a beaucoup agité les médias surtout celles  d’infos en continu. Le niveau, en général à la hauteur du café du commerce, avec des arguments de comptoirs. Même « les experts » qui n’étaient pertinents que pour les journalistes qui les avaient choisis, ne volaient pas bien haut par leur expertise. Si un interlocuteur se permettait de réfléchir et de pondérer le « débat » il était très vite interrompu et on remettait sur le sujet primordial, il fallait entretenir le suspense, source d’audimat, et non pas faire réfléchir des cerveaux qui doivent rester libres pour la pub.

Le secret médical donc. A mes débuts cela était simple, il était fixé par un article réglementaire; article R. 4127-4 du code de la santé publique ; et le code de déontologie sous la garde du conseil de l’ordre des médecins était chargé de le faire apprendre et respecter. Le secret est gardé dans l’intérêt du patient, et pour instaurer une relation de confiance. Le patient peut se confier sans craindre que cela soit diffusé, le médecin garde le secret que même le patient ne peut lui demander de lever, car il couvre aussi ce que le praticien a compris ou vu. Les autres professions médicales respectaient cette déontologie sous la responsabilité du médecin pour faire vite. Le secret est absolu sauf qu’Il y a des cas où le secret ne tient pas : maladies à déclaration obligatoires, (mais la liste pourrait être commentée car pas forcément pertinente), et les cas de maltraitance sur enfant. Mais les réactions administratives sont lentes et pas toujours adaptées.

Et déjà article R. 4127-5 le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit. Ce qui a une importance dans la suite de mon explication.

A noter que le conseil de l’ordre (Conseil de l’ordre, c’est mal car créé du temps du Maréchal Pétain. Il y a aussi  un ordre des pharmaciens), a été décrié également à une époque car paternaliste (travail famille, patrie etc.). Il y a eu des polémiques interminables.

Mais bien sûr la loi Kouchner de 2002 a institué un conseil de l’ordre des infirmières (ers) et des kinésithérapeutes (est-ce féminin ou masculin ?) allez comprendre, mais pas des psychologues, pourquoi ? Le législateur procède toujours avec une grande logique. Ceci qui n’a pas changé.

C’était simple ; La loi de 2002 a « clarifié », (les Enarques et « le législateur » sont passés par là, à vous de juger le texte : http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=9AB34E86DF711C9E08D88E8F95A3F729.tpdila07v_1?idSectionTA=LEGISCTA000006170991&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20150330 

 Et on en revient aux Droits de la personne que je vous ai déjà cité dans un précédent texte. De réglementaire on est passé dans le législatif. Légifrance, code de la santé publique Article L1110-1 et suivants (surtout article L1110-4). On introduit la notion d’équipe, de partage entre professionnels qui s’occupent d’un même patient, mais avec la possibilité pour celui-ci d’interdire le partage de certaines informations, Ouf.

Et on introduit les hébergeurs, qui sont les organismes qui « hébergent » les données médicales informatiques qui sont pour certaines voire beaucoup, plus que l’on ne croit, hébergées sur des serveurs informatiques qui doivent respecter certains critères ou font comme si.

Comme disait l’autre un secret est déjà mal gardé quand il y a 2 personnes qui le connaissent, alors avec tout ce monde-là!… et il ne s’agit maintenant pas que de professionnels de santé.

Rappel : un médecin ne dépend de personne dans son activité, quid d’un informaticien, d’un technicien ? etc. dont le contrat de travail indique la dépendance envers la direction, peut-il refuser de communiquer les données hébergées, je connais des cas où pour optimiser la gestion d’un ou plusieurs établissements le tripatouillage des données est la règle, sous la vague responsabilité d’un médecin. Personnellement j’étais responsable de l’informatique (structure technique) et l’information médicale (le contenu) de mon (petit) établissement, environ 30 PC, 60 utilisateurs au moins). J’avais sécurisé un maximum, rien n’est parfait. Mais quand même simple pour que les utilisateurs (dont j’étais aussi) soient en état de travailler vite, mais en sécurité.

En particulier pas d’accès internet sur les postes du dossier médical. Les tests étaient fréquents. Lors d’une visite d’accréditation le directeur sans mon avis, a fait brancher une ligne par un technicien qui potentiellement permettait l’accès au serveur médical. Petite colère de ma part et déclaration à la CNIL, qui est venu contrôler … 8 mois plus tard alors que tout avait été remis dans l’ordre et alors que j’étais déjà parti à la retraite. Ces inspecteurs n’ont même pas pris contact avec moi. Le directeur a été grondé hou le vilain, il ne pouvait pas savoir que ce que c’était  que la sécurité!

 Depuis les techniques de barrage ont évolué, mais beaucoup de postes de dossiers médicaux sont branchés sur le net ! On sait ce que valent les barrages informatiques. On me dira, qu’elle importance si un dossier personnel n’est pas directement et totalement accessible.

 Réfléchissez : les traitements prescrits donnent une bonne idée aux laboratoires pharmaceutiques des tendances pour sortir le médicament qui rapporte bien et des éléments pour discuter les marchés des hôpitaux. Les assureurs sont friands de la fréquence de certains types de maladie, des traitements qui vont derrière et qui sont des indicateurs, et pourquoi pas des employeurs qui voudront connaitre le personnel fragile, pas forcément pour le protéger ou protéger les clients.

 

Après ces digressions passons au cas concret comme on dit dans les écoles d’infirmières.

Ce co-pilote d’avion de ligne pilotait dans cette compagnie depuis un an et demi. Les antécédents étaient-ils connus, en tout cas un long arrêt dans ses études aurait pu faire poser des questions et pas qu’au médecin du travail de la compagnie. Qui l’a embauché, qui a fait la visite d’embauche ?

Je rappelle que les médecins du travail en France sont tout aussi rares que les médecins scolaires et beaucoup plus rares que les généralistes qui disparaissent progressivement, et ils sont encore plus mal considérés. (Mais on augmente sur eux la pression administrative pour les décourager davantage, mais on va sévir et les obliger à faire ce que l’on veut d’eux). Les visites d’embauche sont effectuées parfois plusieurs mois après le début du travail.

Ce pilote donc  sous traitement depuis longtemps était-il plus dangereux les 18 mois précédents ou pas plus ? Plus dangereux c’est sûr, car il est passé à l’acte, mais était-ce prévisible ? Souvent de tels patients passent facilement d’un médecin à l’autre, ne disent que rarement la réalité, ils cherchent surtout à se faire prescrire des traitements pour soulager leur souffrance, sans parfois « avouer » au médecin qu’ils consultent toutes les facettes de leur personnalité et tous leurs antécédents. On pourrait envisager Big-Brother pour tout le monde et compter dessus pour le secret des données ce qui ne facilitera pas forcément un bon contact et de bonnes réponses en confiance aux questions des médecins.

Donc il a reçu un arrêt de travail la veille. Pour quelle raison ? On ne sait pas. Le médecin doit –il téléphoner immédiatement à l’employeur en cas d’arrêt de travail ? Quel employeur, quel responsable, à quelle heure ? Pour tout ? Sans compter qu’il se fera engueuler 10 fois par jour, car il sera suspecté immédiatement de faciliter les tire au flanc, de vouloir mettre le bazar dans les plannings, d’être anti-patrons. Arrêts de travail et harcèlement au travail débouchant sur des suicides. Les postes à risque ne sont pas que pour les pilotes. Grutier, conducteur de centrale atomique, manipulateurs de substances toxiques ou dangereuses, personnel soignant.

Je me souviens d’une discussion avec un ami patron qui me dénonçait un confrère, pas toujours défendable. Il me racontait l’histoire d’un employé qui « profitait » d’arrêts de travail indus. Visiblement et sur ses dires il ne s’était pas aperçu que son employé était maniaco-dépressif, bipolaire comme on dit maintenant. Les phases maniaques où l’employé se défonçait comme un malade pour son travail, passaient inaperçues, les épisodes de dépression aigue qui motivaient l’arrêt de travail passaient aussi inaperçues puisque le patient n’était pas là et comble de provocation il passait ses nerfs en faisant son jardin. Quelqu’un en arrêt de travail ne peut pas, bien sûr, avoir une activité de défoulement, on le sait bien.

Passons. Supposons que l’arrêt de travail non transmis était en relation avec un risque de suicide, qui prévenir, comment, dire sans dire le diagnostic ? Alors que les plannings sont déjà faits et que le responsable est inconnu ou intouchable. Lequel est compétent et habilité dans l’organigramme ? est-il là? Ces gens si occupés sont intouchables, et personne n’est sûr que le risque est imminent. Comment le prévenir sans dévoiler la cause ?

On peut prévenir le conseil de l’ordre, mais secrétariat fermé en dehors des heures de bureau. Le président que j’ai connu avait toujours son téléphone portable sur lui pour répondre et conseiller les médecins. Et c’est un bon point pour lui. Mais encore fallait-il avoir son numéro de portable et qu’il puisse faire quelque chose dans l’urgence. Prévenir le procureur, qui fera quoi ? Ici on n’est pas le temps des juristes, long, mais le temps des réanimateurs ou urgentistes, très court.

Le secret bien sûr ne s’oppose pas au patient lui-même qui peut à tout moment, avec certaines formes, et de la part du médecin traitant ou du médecin référent avec tact, avoir communication de son dossier de son diagnostic, certain ou suspecté. Le patient peut savoir s’il le veut et s’il veut bien comprendre et écouter.

De même dans les cas médico-légaux le juge peut avoir accès à des informations par l’intermédiaire d’un médecin expert qu’il a désigné. L’expert ne doit répondre qu’aux questions explicitement posées par le procureur ou le juge d’instruction et n’a pas à dévoiler l’ensemble des données du dossier. Seules celles pertinentes dans le cas sont prises en compte et l’expert ne sait pas où en est l’enquête.

La saisie du dossier, qui maintenant peut-être dispersé chez plusieurs médecins et spécialistes, voire dans des serveurs informatiques, se fait par la police ou la gendarmerie sous le contrôle d’un médecin délégué par le conseil de l’ordre. Son rôle est de contrôler que seules les pièces du dossier de ce patient sont utilisées et qu’il n’y a pas d’informations qui pourraient concerner un tiers. Accessoirement il s’assure que le médecin conserve au moins un double de son dossier car il peut être amené à re-soigner le patient, tous les cas ne sont pas mortels. Le double permet également de garder les éléments pour se défendre éventuellement.

L’expert fait un rapport sur ce qui lui est demandé. Les délais sont longs, les experts rares (et mal payés, mais volontaires). Donc on en revient au temps judiciaire. Parfois (souvent ?) les dossiers saisis repartent aux greffes des tribunaux où ils sont stockés sans vraie protection. Ainsi va la vie.

Les experts médicaux vont donner leur avis aussi pour les victimes du crash. L’ADN va parler et peut-être révéler des filiations incertaines ; les prélèvements des maladies non connues de la famille, faut-il les en avertir ? et qui dans la famille ?

En tant que membre du conseil de l’ordre j’ai assez souvent accompagné ces saisies qui se passent le plus souvent dans la plus grande correction vis-à-vis de la loi.

Les experts auront donc la possibilité de se prononcer, et le juge d’avoir un avis. Un peu tard.

Idem dans l’éducation nationale, alors qu’une affaire récente de pédophilie met en cause un enseignant condamné et non suivi. Là aussi les dégâts sont fait et pas anodins même s’ils ne sont pas mortels. Cette fois-ci des décisions ont étés prises par l’éducation nationale, mais quand tout est consommé.( Sans jeux de mots).

Le pilote lui a été révoqué à vie.

J’ai personnellement eu à gérer un cas que j’ai raté, concernant le secret médical dans mon activité de cardiologue. D’autres cas ont étés plus simples ou plus faciles à régler.

 Un jour lors d’une consultation d’une personne que je voyais pour la première fois j’ai découvert lors de mon examen une cardiopathie sévère probablement d’origine alcoolique. Le patient devant moi avait probablement modéré ce jour sa consommation pour faire face à la consultation mais une petite odeur «œnolique» dit-on dans la profession avait attiré mon attention. Il avait pris rendez-vous plusieurs jours auparavant, l’urgence vitale ne semblait pas avérée, mais je lui ai proposé fermement un arrêt de travail, qu’il a récusé car, chauffeur de bus scolaire, il avait un transport à faire dans les minutes qui suivaient.

Impossible de le faire changer d’avis.

Très mauvais quart d’heure pour moi. Que faire pour l’immédiat ? Téléphoner aux gendarmes pour qu’ils se postent toutes affaires cessantes sur sa route ? Quid du secret? Ce chauffeur conduisait sûrement bourré depuis bien longtemps quid de l’employeur, du médecin du travail, comment les joindre ? Le  temps qui passait. Parfois ces chauffeurs sont des personnes qui font des extra sans activité fixe et souvent il semble que l’on soit moins exigeant sur les critères.

Rien n’est arrivé ce jour-là. Je n’ai plus jamais revu ensuite ce patient, mes commentaires et avis avaient dû lui déplaire. Pas d’accident de car scolaire dans la région ensuite. Mais quel mauvais moment. Mes enfants étaient jeunes à l’époque et je me suis posé des questions. Et si tous les gamins étaient restés sur le bord de la route sans surveillance, et si... J’étais aussi sans beaucoup d’expérience dans la profession à cette époque, mais il me reste encore un arrière-goût de raté. Un drame était possible comme celui qui est arrivé avec l’avion.

 Et que celui qui me répond «  yavaisqu’ à », prenne maintenant ma place.

Vous comprendrez pourquoi tout ceci me tient à cœur de cardiologue et pourquoi le simplisme des journalistes me fait encore dire Estic tip. (Expression catalane déjà connue de mes lecteurs)

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